J’ai interviewé Claire, pharmacienne, sur le sujet du microbiote, des coliques et de la pharmacie.
En tant que jeune maman allaitante, on s’interroge souvent sur ce qui passe dans le lait maternel et aussi sur le système digestif de bébé. Notamment comment soulager les coliques.
Bonne lecture !
Alexandra : Bonjour Claire. On se retrouve aujourd’hui pour parler du microbiote. J’ai vu que tu t’étais spécialisée là-dedans. Est-ce que tu pourrais te présenter ?
Claire : Salut Alexandra. Je suis Claire, pharmacienne, docteur en pharmacie. Je me suis spécialisée dans la nutrition et dans la micro-nutrition. C’est de la nutrition en détail, on va dire. et plus particulièrement sur ce microbiote . Ce petit monde qui vit en nous. C’est quelque chose qui a beaucoup d’importance pour notre santé.
Et toi, Alexandra, pourquoi tu t’intéresse au microbiote ?
Alexandra : Je m’intéresse au microbiote car j’accompagne les jeunes mamans dans leur allaitement et j’ai remarqué que souvent on avait des questions par rapport aux pleurs, aux coliques de bébé .
Finalement ce qu’on mange passe dans le lait maternel et on se demande si ça agit sur bébé et si cela a des conséquences sur son estomac et sa digestion.
C’est comme ça que j’ai découvert ce mot “microbiote”. Je ne sais pas vraiment ce que c’est. Est-ce que tu peux nous en dire plus là-dessus ?
A) Qu’est ce que le microbiote ?
Claire : Microbiote : c’est micro-environnement. C’est un mélange de plusieurs micro-organismes. On va plus s’intéresser aux bactéries parce que c’est celles qu’on sait le plus étudiées aujourd’hui. On sait qu’il y a aussi des virus, des virus de virus qu’on appelle des phages. On a aussi des champignons.
Tout ça vit ensemble, dans nos intestins principalement, mais aussi sur notre peau. On a un microbiote cutané, on a un microbiote au niveau de la bouche, au niveau du nez, dans les poumons. On n’est pas du tout stérile. On a appris à vivre avec ce petit monde là depuis des années. Ça fait partie de l’évolution.
On découvre encore plein de choses aujourd’hui dessus et heureusement.
La plus grosse partie est dans nos intestins (partie basse de notre digestion). Si on le met sur la balance, cela représente environ 2 kg de notre poids corporel. C’est quand même assez impressionnant, surtout si on le met en regard avec un foie. Puisque le foie représente 1,5 à 2 kg selon la taille de la personne. Donc on peut parler d’un microbiote-organe, certaines personnes appellent cela comme ça.
Alexandra : Je n’ai pas pris mes questions dans l’ordre ^^. Mais je voulais te demander quelle formation il fallait pour être pharmacien, puisque je ne voyais pas le lien entre la pharmacie et le microbiote. Pourquoi une pharmacienne s’y intéresse ?
B) Quelle formation faut- il pour être pharmacien et quel lien entre la pharmacie et le microbiote ?
Claire : Pour être pharmacien, il faut le bac puis passer la première année des études de santé (avec les médecins, pharmacien, kiné, sage-femme enfin maïeutique, dentaire). Maintenant il n’y a plus de concours, mais moi je suis passée avec un concours. On a une sélection après la première année et on peut choisir notre spécialité.
Ensuite, suivent 5 années d’études au cours desquelles on va avoir les différentes chimie : la chimie végétale, botanique, le développement des plantes, leur propriété, leur toxicité. On va avoir tout ce qui est aromathérapie et bien sûr le corps humain en bonne santé (homéostasie), le déclenchement de certaines pathologies, la biochimie, le développement des médicaments pour que ça agisse au bon endroit, ainsi que la qualité des médicaments.
On va aussi avoir l’alimentation, c’est là que je me suis vraiment tourné de ce côté là, avec une spécialisation en micro-nutrition par la suite. Il faut savoir que le pharmacien a une formation de base sur tout ce qui va être nutrition-santé, donc on peut vous donner un maximum de conseils au comptoir. Quelle nutrition pendant la grossesse, pendant l’allaitement, quelle nutrition pendant que l’enfant se développe.
On est là pour vous conseiller, en fait on se complète avec le médecin. Si des fois, il n’est pas disponible, si on a des analyses et qu’on veut savoir ce qu’on peut faire…le pharmacien est toujours là pour y répondre.
Alexandra : je n’aurais pas pensé à ça : au côté conseil. On en a parlé un peu avant (en off). Après c’est peut être moi, mais quand je vais à la pharmacie, je vais en général chercher un médicament parce que j’ai une ordonnance ou parce que je sais que je vais trouver tel médicament. Mais je n’aurais pas pensé à y aller pour avoir des conseils, notamment sur l’aromathérapie et la nutrition. Tout ce qui est à base de plantes, ça revient beaucoup et c’est tellement accessible sur internet que j’aurais pas pensé à demander conseil en pharmacie.
Claire : On fait partie des rares professionnels de santé qui sont disponibles sans rendez-vous.
Alexandra : Exactement, je vois très bien l’intérêt maintenant !
Claire : donc il faut en profiter, trouver l’officine, l’équipe qui nous convient. Qui est à notre écoute et qui répond aux demandes. C’est vrai qu’on trouve de tout.
Alexandra : Il a toute l’équipe de la pharmacie, donc chacun peut avoir sa spécialité finalement.
Claire : C’est la force d’une équipe.
C) Qu’est ce qui peut déranger le microbiote de bébé ?
Alexandra : Si on parle du microbiote, c’est l’ensemble de bactéries et virus que tu nous a dit. Qu’est ce qui peut agir dessus quand bébé est allaité ? Qu’est ce qui peut l’embêter ?
Claire : Je vais remonter un petit peu l’histoire. Le microbiote commence déjà à se développer à l’état foetal. Il va déjà récupérer quelques bactéries lorsque le bébé se développe dans le ventre de la maman. Ce sont des nouvelles informations, on sait que les nouveau-nés ne sont pas stériles. Après, le microbiote va se développer. A partir de la naissance, il va récupérer beaucoup de choses selon la manière dont l’enfant arrive au monde. Si c’est par voie basse ou par césarienne, on aura pas le même type de bactérie de départ. D’ailleurs, il y a certaines maternités qui ont vu la nécessité – et qui est très bien – de faire téter un écouvillon vaginal à tous les bébés nés par césarienne. Tout simplement pour que le bébé récupère les bactéries qui sont normales et qu’il aurait dû récupérer en passant par voie basse. On sait qu’elles permettent de limiter certaines allergies ou pathologies, fragilités qu’on a de société aujourd’hui. Par exemple, certains diabètes. Donc, à la naissance, le microbiote commence à se diversifier et au fur et à mesure jusqu’à l’âge de 3 ans, on va récupérer plein de bactéries différentes.
C’est une signature, donc chacun à son propre microbiote. On peut avoir des choses qu’on récupère de son papa, de sa maman, de son environnement, mais chacun aura son propre microbiote. Personne, n’aura le même, même chez deux jumeaux identiques, puisqu’il vont se nourrir et faire des tests différents.
Pour ta question qui est vaste sur les coliques, forcément la manière dont on est né et la manière dont on est nourri, ça va changer grandement. Un bébé allaité, avec le lait maternel, aura la richesse du lait maternel. Ça dépendra de la nutrition de la maman. Ça dépendra aussi de la durée de la tétée. Dans une tétée, le lait va changer de composants au fur et à mesure de la tétée. Donc si le bébé tète pas beaucoup, il ne va pas récupérer la même chose que s’il tète plus longtemps, puisqu’on aura un lait plus consistant au fur et à mesure. Je ne dis pas de bétise, tu es d’accord avec moi ?
Alexandra : Oui,il y a un peu plus de lait gras en fin de tétée, mais à priori cela n’a pas de grosses conséquences.
Claire : Oui, mais pour le microbiote, ce ne sera pas la même chose. Ça va permettre d’enrichir le microbiote des différentes bactéries. Ces bactéries-là se nourrissent de ce dont nous nous nourrissons. C’est à dire que dans le lait maternel, on va avoir des choses que bébé va pouvoir assimiler tout seul tout de suite. Il y a aussi des prébiotiques à l’intérieur. Il y a des choses que l’enfant ne sait pas digérer, mais ce sont ces bactéries qu’il a reçues à la naissance et qu’il arrive à enrichir au fur et à mesure, qui vont l’aider à digérer. Ces bactéries là parfois elles fermentent, ça dépendra de la composition du lait qu’on va donner.
Sur un bébé qui est allaité avec du lait maternisé (PCN : préparation commerciale pour nourrisson), il y a des laits qui sont mieux supportés tout simplement parce que le lait sera plus enrichi en prébiotiques. Il sera “pré-digéré” pour ajuster à la capacité de digestion de l’enfant. Mais cela ne va pas forcément durer longtemps. Même si je sais bien que les mamans n’ont pas envie de changer le lait, une fois qu’elles ont trouvé un lait où c’est stabilisé. Parfois c’était juste une étape qu’il fallait passer et la maturité digestive reprend, le microbiote aussi s’est diversifié. Après cette étape-là, ça s’arrange déjà tout seul.
Alexandra : Est-ce que ça a un lien avec les enzymes ? Je sais qu’il y a des enzymes dans le lait maternel.
Claire : Oui il a des enzymes dans le lait maternel qui aide à prédigérer le lait. Tout simplement parce que la capacité digestive de bébé n’est pas au plus haut de ce qu’il connaîtra après. Le fait d’avoir des enzymes dans le lait maternel facilite la digestion.
D) Le microbiote et la diversification alimentaire.
Alexandra : L’OMS recommande de diversifier les enfants à partir de 6 mois. Du coup, il y a un changement du microbiote vers cet âge là ?
Claire : On a une fenêtre dite de diversification alimentaire entre 4 et 6 mois. Parfois certaines personnes commencent un petit peu avant. Aux alentours de 6 mois, (il n’y a pas de moment précis), c’est en fonction de l’enfant, du moment… chacun est différent encore une fois. Il faut y aller au feeling et voir comment ça se passe. Il faut diversifié en allant un aliment par un aliment. Et surtout garder les aliments purs, ne pas ajouter trop de choses, comme si c’était pour nous. Il faut vraiment y aller tout doucement.
Alexandra : Mais au niveau des intestins du bébé, il y a un changement vers cet âge-là ? Parce qu’avant on dit que les intestins ne sont pas encore matures.
Claire : Le développement des tissus de digestion continue à se faire au fur et à mesure, donc forcément on est sur une immaturité. On va commencer à cet âge là, parce que les besoins sont différents. Le corps va commencer à vouloir autre chose que le lait maternel. C’est pour cela qu’on va débuter la diversification alimentaire. Le microbiote, lui, va se diversifier jusqu’à au moins l’âge de 3 ans.
E) Le microbiote et les coliques de bébé.
Je reviens juste sur les coliques. C’est un blocage de la digestion. Il y a quelque chose qui devait être digéré au niveau de l’estomac (en haut) qui n’a pas été digéré pour plusieurs raisons.
- L’enfant a pu manger dans un milieu plus stressant, donc il n’a pas su activer les enzymes qu’il fallait parce que l’estomac ne pouvait pas suivre.
- Est-ce parce qu’il a mangé plus que d’habitude .
- Est-ce que c’est parce qu’il y a eu un phénomène de croissance intérieure et du coup il y a eu une étape qui n’a pas eu lieu.
Ce qui est sûr c’est qu’ au niveau de son microbiote, il y a de nouveaux aliments qui sont arrivés sous une forme qui a demandé une fermentation un peu plus importante. Il y a des bactéries qui se sont mises à fermenter et en fermentant, elles ont produit des gazs. Ces gazs restent parfois bloqués dans certains coins et ça fait des douleurs très importantes. D’où l’importance de bien masser, de bouger pour réactiver. Nous adultes, on bouge, on est gainé. L’enfant ne connaît pas encore ses muscles et cette mobilité. Donc le fait de masser, de bouger les jambes (massages spécifiques aux coliques), ça va permettre de faire sortir ces gaz tout simplement, par le haut ou par le bas. Le corps s’en débrouillera (pour trouver le chemin le plus court). Il faut vraiment l’aider à sortir ça.
Pour limiter les coliques : ça va être la durée des repas, l’environnement surtout, et après on peut l’aider en apportant des bactéries extérieures qui vont favoriser une digestion un peu plus confortable. C’est là qu’on utilise les pro-biotiques.
Alexandra : Est-ce qu’on peut en prendre régulièrement ? Ma fille en avait eu pendant 15 jours.
Claire : Oui surtout à cet âge là. On pourra aussi l’utiliser chez l’adulte pour autre chose. On va faire des cures. Pour les coliques, en règle générale, on fait des cures de 3 semaines, un mois éventuellement. Le temps qu’on réensemence et aussi qu’on décoince ce problème digestif. Tout simplement parce que la maturité vient aussi. On évite certains phénomènes d’allergie aussi, donc ces probiotiques sont quand même très intéressants. Ca peut aussi activer la mobilité intestinale. Par exemple un bébé qui est constipé, on pourra proposer tel type de souche. On proposera plus facilement le Biogaia, qui lui est riche en une souche qui active la mobilité intestinale. On appelle cela le péristaltisme.
Alexandra : C’est intéressant ça. On m’avait déjà posé la question pour un bébé constipé. En général les gens nous proposent des suppositoires et c’est tout.
Claire : Oui c’est une action mécanique, qui va décoincer.
Alexandra : C’est pas une action sur le long terme, finalement c’est un problème qui peut revenir.
Claire : Exactement, mais ça reste une action douce qui n’aura pas d’effet négatif.
Alexandra : Ok, je regarde si on avait d’autres questions autour du microbiote.
F) Le cas des antibiotiques chez le nourrisson.
Claire : On a fait pas mal le tour. Juste, si jamais il y a besoin d’antibiotiques avec un nourrisson. Je recommande fortement d’utiliser du Saccharomyces boulardii (nom compliqué tout ça pour un champignon), de l’ultra levure ou la forme adapté pour les petits (Baby levure ou Pediakid). Le but c’est de protéger le peu de microbiote qu’on a au niveau des intestins et de ne pas tout détruire.
Alexandra : Sinon l’antibiotique va enlever toutes les bactéries. C’était une question que je t’avais notée d’une maman, ça.
Claire : Tout à fait. Les antibiotiques n’ont pas de sélection sur nos bactéries qui vivent avec nous. Le Saccharomyces boulardii, c’est presque une levure, c’est une grosse bactérie. Elle vient faire un bouclier, déposé sur notre microbiote, comme des écailles de protection. Donc, cet effet va durer 24h grand maximum, en général une vingtaine d’heures. C’est pour cela qu’on réitère la protection avant la prochaine prise d’antibiotique.
Alexandra : Donc on donne cette levure avant de donner l’antibiotique au bébé.
Claire : Exactement. Si on peut un petit quart d’heure avant. Si c’est pas possible, juste avant, on fait comme on peut. En tout cas, le fait de donner avant, c’est toujours mieux, pour avoir ce bouclier en place et protéger un maximum de bactéries qui sont importantes pour nous.
Alexandra : C’est un super conseil. Je crois qu’on a fait le tour du sujet microbiote et coliques. J’espère qu’on se retrouvera bientôt pour un nouveau thème qui pourrait nous lier toutes les deux.
Claire : S’il y a des questions sur ce sujet là, je reste disponible sur les réseaux sociaux. J’y répondrai volontiers. Je renverrais les personnes qui me posent des questions spécifiques à l’allaitement à ta référence.
Alexandra : Merci Claire.
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